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20.06.24

La boutique modifie les représentations du métier de fleuriste

Longtemps activité ambulante, la profession de fleuriste connaît une révolution dans les représentations par la sédentarisation de sa pratique, qui s’exerce au XIXe siècle progressivement en boutique, à la faveur de l’essor des villes sous l’effet de l’industrialisation. Cet article est le dernier de notre série consacrée à l’histoire du métier de fleuriste !

La boutique : une révolution durable pour la profession

Nous l’avons vu, la pratique du métier de fleuriste est fortement ancrée dans l’itinérance et la participation régulière aux marchés.D’un côté les bouquetières vendaient leur fleurs dans les rues de manière informelle ou sur des étals sommaires, de l’autre les petits cultivateurs de l’extérieur de Paris venaient vendre leur production sur les marchés de la capitale. 

Jack Goody voit une évolution décisive au XIXe siècle avec l’essor de l’urbanisation, qui s’accompagne de la structuration de lieux spécifiques pour le commerce de détail à laquelle n’échappe pas la vente de fleurs : la boutique. D’une part, cette nouveauté installe définitivement les fleuristes dans le champ du commerce de détail, mais elle induit également une hiérarchie des professionnels de la fleur. “Dans le Paris du XIXe siècle, la bouquetière au panier occupait le bas de la hiérarchie ; venait ensuite la bouquetière ambulante ; puis le nouveau kiosque de fleuriste ; et enfin, au sommet, la grande maison, installée dans une boutique”. On peut à cet égard citer la toute première boutique de fleurs à avoir pignon sur rue à Paris, ouverte à Paris en 1830. 

Peu à peu, ces boutiques transforment en profondeur la consommation florale, et deviennent les pourvoyeurs majoritaires de fleurs de la société parisienne. Placées dans les zones fréquentées de Paris par les passants, “sur les grandes artères éclairées par la magie du gaz” selon Jack Goody, elles jouxtent les boutiques de textiles au sein de véritables quartiers de la mode, auxquels les fleuristes ont largement contribué. 

A nouveau, l’usage des fleurs se trouve pris dans le tourbillon des mondanités qui propulse leur consommation au rang d’acte quotidien, les consommateurs étant “petites maîtresses, artistes, lions et dandys” comme l’illustre Jack Goody. Les boutiques de fleurs participent donc à cette nouvelle consommation urbaine et mondaine avide de nouveautés. 

Paul de Kock, romancier français du XIXe siècle, a d’ailleurs une lecture relativement étonnante de l’effet de la boutique sur l’image même de la fleuriste : il note ainsi que la bouquetière, marchande de rue, devait se montrer bruyante et grossière pour attirer les clients. De l’autre côté, la fleuriste de magasin “attend sagement le client derrière son comptoir, sa chevelure soignée comme celle d’une modiste, tirée à quatre épingles comme un chemisier, et s’exprimant avec le langage choisi d’un parfumeur”. 

On laissera à chacun le loisir d’apprécier la pertinence d’un tel tableau, qui semble cantonner la femme à la sphère de l’apparence ; il n’en demeure pas moins que ce témoignage est symptomatique d’une mutation profonde dans la perception du métier, qui passe du soupçon de mendicité à une reconnaissance sociale indéniable.

Puis la 2e moitié du XIXe siècle inaugure à son tour un changement profond, avec l’arrivée des grands magasins, qui sont l’un des axes de développement majeurs du Paris Haussmannien, car comme le souligne Jack Goody “la consommation de masse des produits de luxe est un projet économique du Second Empire”. Si les fleuristes voient d’un mauvais oeil l’apparition de ces grandes structures qui pouvaient se permettre “l’offre systématique d’un bouquet de violettes”, le tissu de petits détaillants a en réalité plutôt mieux résisté que d’autres secteurs, la nature fragile des fleurs rendant le commerce de détail plus avantageux. 

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Un métier entouré de fantasmes

Le métier de fleuriste, de bouquetière ou de marchande de fleur, est très souvent l’objet de représentations péjoratives, en tant que profession féminine, agrégeant tous les poncifs liés à la représentation des femmes de l’époque. La figure de la fleuriste “résume à elle seule le destin des femmes : honorer de leurs services personnels la domination des hommes” comme le relate Jack Goody. 

La bouquetière parisienne incarne les fantasmes : réputée bien mise, elle suscite une représentation féconde pour les peintres et les écrivains. Cette réputation n’est pas nouvelle, puisque la société grecque associait déjà les marchandes de fleurs à la sexualité : celles-ci étaient souvent, d’après Goody, “choisies en raison de leur charmante apparence”. Un autre facteur alimentant cette croyance était le caractère itinérant de leur profession, qui les exposait à la rue et à ses mauvaises rencontres.

On pourrait considérer que l’association entre marchandes de fleurs et débauche provient en réalité d’un discours puritain fustigeant le commerce du luxe, auquel la fleur appartient indéniablement. La marchande de fleurs est donc devenue la cible de discours moraux particulièrement virulents. “Les marchandes de fleurs sont dangereusement exposées à la concupiscence des hommes” relate l’anthropologue anglais.

Quand elles ne sont pas des filles issues des marges de la société, elles sont tout du moins présentées comme des femmes d’extraction modestes qui n’attendent que l’amour d’un homme pour les sortir de leur condition, conformément aux stéréotypes de l’époque. Goody va même plus loin “elle doit être complètement transformée pour pouvoir être admise dans la société”.

A ces images dégradantes et romancées se sont pourtant opposées des représentations beaucoup plus valorisantes pour les marchandes de fleurs : travaillant de manière indépendante et non sous l’autorité d’un homme, elles dégageaient une image d’émancipation, et ne pouvaient être cantonnées au rôle de maîtresse ou de femmes de leur patron.

L’histoire du métier de fleuriste semble mettre en lumière une hésitation prolongée quant à son champ d’activité précis : d’abord pratique familiale liée aux célébrations religieuses, on voit se développer des professionnels de la fleur à mi-chemin entre cultivateurs, décorateurs et vendeurs. Longtemps cantonnée à l’indistinction, la profession s’est très vite structurée en corporations protectrices du savoir-faire et de l’accession au métier. Aujourd’hui, du fait de l’industrialisation agricole et de la demande croissante de fleurs coupées, les fleuristes se sont éloignés de la production dans la majorité des cas, mais conservent toujours leur mission d’artisanat.

Qui sommes nous ?

Sessile lutte pour l’indépendance des artisans fleuristes sur Internet. Fondé en 2019 par 6 amis, Sessile rassemble 500 fleuristes, engagés dans la transformation de la filière et permet déjà de livrer plus de 50% des Français. En brisant la logique de catalogue sur Internet, le réseau met en avant le savoir-faire de chaque fleuriste et contribue à faire vivre l’art floral. Les fleuristes peuvent faire vivre leur passion et conçoivent des bouquets plus créatifs car ils sont ainsi plus libres de proposer des fleurs de saison, des fleurs locales quand c’est possible.