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20.06.24

La structuration du métier de fleuriste à la Renaissance

La Renaissance a vu l’émergence d’un intérêt renouvelé pour les fleurs, tant dans les représentations cultuelles et artistiques, que par l’avènement d’un discours scientifique nouveau. L’importation de variétés nouvelles venues d’Orient émerveille les populations européennes. C’est dans ce contexte que le métier de fleuriste connaît un second souffle. Cet article est le 2e que nous consacrons à l’histoire du métier de fleuriste !

Des trajectoires très différentes selon les pays aux abords de la Renaissance

C’est en Europe que la profession telle que nous la connaissons aujourd’hui s’est peu à peu structurée, revêtant des réalités très différentes selon les contextes.

Comme nous l’avions évoqué lors de notre précédent article concernant la crise de la tulipe, les XVIe et XVIIe siècles ont été des moments clés de structuration du marché de la fleur contemporain. Alors que de nombreuses fleurs exotiques sont importées d’Orient, notamment la tulipe et le jasmin, l’ensemble de la société occidentale se prend de passion pour les fleurs qui ne connaîtra plus de ressac. 

Les scientifiques s’emparent de la botanique comme sujet d’étude privilégié et élaborent discours savants et planches qui rencontrent un grand succès dans la société lettrée de l’époque. Les jardins publics fleurissent partout, et sont des points de rencontres privilégiés entre le public et les fleurs venues d’ailleurs, contribuant à la démocratisation de leur usage. 

Les cercles de pouvoirs européens sont très friands de ces nouvelles fleurs, la tulipe en particulier, qui investissent leurs jardins, et dont les variétés font l’objet de croisements multiples. Face à cette diversification de l’offre, nous avions signalé l’apparition d’une nouvelle catégorie de professionnels de la fleur et qu’on l’on nommait fleuriste, mais qui en réalité étaient bien plus proches des grossistes actuels. On entend donc par fleuristes des spécialistes de la fleur, capables d’orienter les acheteurs vers les meilleures variétés ; cette composante semble encore aujourd’hui être l’apanage des fleuristes. “En contact avec de nombreux horticulteurs, ils pouvaient offrir une variété plus grande de fleurs”, souligne l’économiste Christian Chavagneux.

Parallèlement à cette figure du fleuriste hollandais, la profession se construit différemment en Angleterre, où le fleuriste est moins un spécialiste qu’un cultivateur, souvent situé en périphérie des grandes villes, et qui vient vendre sa production sur les marchés. D’abord activité informelle, la profession de jardinier fleuriste est reconnue par la fondation en 1605 d’une compagnie officielle des jardiniers. 

En France, c’est encore une autre histoire ! A Paris, la profession semble être intimement liée à la chapellerie, dont une partie de l’activité consistait en la confection de couronnes de fleurs, destinées à divers ornements. Là encore, la distinction entre jardinier et fleuriste est floue, et de nombreux professionnels cultivent hors des murs de la ville les fleurs qu’ils utilisent ensuite dans leurs ouvrages. Jack Goody note à ce propos qu’il a pu exister une forme de distinction sexuelle du travail “les femmes à la boutique, les hommes à la terre”. Cependant, à la différence des fleuristes anglais, l’arrangement floral dans le contexte de la chapellerie ancre davantage la profession dans l’artisanat.

A cette indistinction relative entre production et vente s’ajoute celle inhérente à l’exercice de professions de rue, recoupant une diversité de réalités très différentes, des colporteuses aux bouquetières reconnues, et s’accompagnant de toutes les représentations inhérentes aux métiers de rue, dont la moralité était plus ou moins remise en question par les classes supérieures. La bouquetière est une femme de la rue, vendeuse à la criée sûre d’elle et effrontée, mais aussi victime potentielle de lubricité et de mauvaises rencontres. 

Le terme de fleuriste en soi recouvre de nombreuses réalités, professionnelles ou non, au moins jusqu’à la fin du XVIIe siècle, puisque Furetière dans son dictionnaire (1690) qualifie de fleuriste toute “personne qui est curieuse en fleurs rares ou celle qui en fait trafic”.

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Le métier de fleuriste à la lumière de l’histoire sociale française

La profession tend progressivement vers un encadrement rigoureux de sa transmission et de sa pratique. Les lettres patentes de 1677 consacrent les statuts de bouquetières chapelières de Paris lors d’un vote du Parlement, qui reconnaît comme corporation cette profession aux contours encore incertains. D’ailleurs, les statuts de la corporation excluent d’emblée toute participation d’hommes, la bouquetterie étant alors une pratique exclusivement féminine : “La communauté ne sera composée que de femmes et de filles, et nul garçon ne pourra parvenir à la maîtrise”. 

Les conditions d’exercice sont rigoureusement consignées, par exemple la nécessité d’un apprentissage de 4 ans auprès d’une maîtresse bouquetière, qui elle-même ne peut pas avoir plus d’une apprentie à la fois. Le métier s’ancre dans une conception artisanale, et l’admission à la corporation est conditionnée à la réalisation d’un chef-d’œuvre devant des jurées désignées parmi leurs pairs. “Les aspirantes feront leur chef d’œuvre de leurs propres mains en présence des jurées et de quatre anciennes bachelières”. 

Si l’aspirante est admise, elle est conduite devant le procureur du roi pour prêter serment, consacrant la reconnaissance pleine et entière du corps social envers la profession. Et signe que la profession est en quête de dissiper tout soupçon quant aux bonnes mœurs des bouquetières, la présentation du chef-d’œuvre est précédée d’une “enquête de leurs bonne vie et mœurs” par les jurées désignées.

Outre ces préconisations aux aspirantes, les statuts se veulent aussi protecteurs pour les futures praticiennes, les garantissant par exemple contre la concurrence des jardiniers, auquel il est interdit “d’étaler et de vendre leurs fleurs cueillies”, en dehors de périodes clairement définies et uniquement sur les places de marché prévues à cet effet. Enfin, la corporation se dote d’une caisse commune alimentée par les aspirantes elles-mêmes ainsi que par une partie des amendes infligées pour vente illicite de fleurs. 

Le Dictionnaire de la ville de Paris publié au XVIIIe siècle donne une vision assez précise des nombreuses règles et contraintes qui s’appliquent à la profession, et des droits spécifiques dont elle dispose. Ainsi, les bouquetières “ont seules le droit d’assortir et vendre toutes sortes de fleurs naturelles”, est-il mentionné. Au-delà de la protection du métier par privilège d’activité, la profession acquiert des garanties  par un arrêt de 1735 : “il est fait très expresse inhibition et défense à toute personne, qui ne seront point reçues maîtresse bouquetière de vendre, débiter et colporter aucune fleur ni bouquet dans aucun lieu de la ville”. 

Les contrevenants osant réaliser un bouquet de fleurs en dehors de toute corporation s’exposent même à des amendes. “Les statuts portent 500 livres d’amende à celui qui le ferait sans posséder la qualité de fleuriste”, précise l’historien René de Lespinasse, qui a compilé les statuts des différentes corporations parisiennes du XVIIIe siècle.

En 1776, la profession est rendue libre et les conditions d’accès à la profession sont abolies ; par la suite, la corporation est purement et simplement supprimée en 1789, dans le grand mouvement général d’abolition des privilèges. Les bouquetières chapelières perdent ainsi à la fois leurs exemptions fiscales et les règles de vente qui les protégeaient jusqu’à lors, et les garantissaient contre la précarité de leurs conditions de vie. 

S’ensuit une concurrence féroce exercée de manière sauvage par une multitude de femmes faisant œuvre de fleurs : “Ces femmes étaient des colporteuses, des filles non marchandes qui se livraient à des pratiques contraires au bon droit”, note Jack Goody. Ce qui a eu pour effet de provoquer la colère des bouquetières traditionnelles, qui demandent alors le rétablissement de leurs privilèges d’Ancien Régime, arguant d’une précarisation progressive de leur profession. 

Ces revendications sont toutefois restées lettre morte, ramenant la profession à une nébuleuse complexe, englobant plusieurs profils très différents. “Les corporations très fermées du XVIIIe siècle laissent la place à une galaxie beaucoup plus floue, beaucoup moins contrôlée, de producteurs, de grossistes et de détaillants”, détaille Jack Goody.

Pourquoi s’attarder sur le cas de la bouquetière parisienne ? Parce qu’elle est par la suite devenue l’icône du métier de fleuriste moderne. Si les Pays-Bas ont toujours eu, depuis le XVIIe siècle, le monopole de sa production, c’est bien à Paris que s’établissent les standards de la mode, comme le souligne Jack Goody : “si les Hollandais restent à la pointe de la production, voire du niveau de consommation des fleurs, c’est la mode parisienne qui dicte les critères de leur usage”, observe-t-il.

Qui sommes nous ?

Sessile lutte pour l’indépendance des artisans fleuristes sur Internet. Fondé en 2019 par 6 amis, Sessile rassemble 500 fleuristes, engagés dans la transformation de la filière et permet déjà de livrer plus de 50% des Français. En brisant la logique de catalogue sur Internet, le réseau met en avant le savoir-faire de chaque fleuriste et contribue à faire vivre l’art floral. Les fleuristes peuvent faire vivre leur passion et conçoivent des bouquets plus créatifs car ils sont ainsi plus libres de proposer des fleurs de saison, des fleurs locales quand c’est possible.