Les fleurs n'ont-elles plus de saison ?
Les fleurs ont-elles encore une saison ? C’est la question à laquelle nous répondrons cette semaine, en interrogeant fleuristes, acteurs de la filière et universitaires. Si les fleurs de saison ont dû faire de la place aux fleurs issues du commerce international, elles semblent retrouver de l’allant ces dernières années, et séduire des fleuristes et des consommateurs de plus en plus nombreux !
Selon un baromètre réalisé par Kantar pour FranceAgrimer et Val’hor, 85 % des personnes interrogées considèrent que les végétaux préservent l’environnement. Pourtant, peu de consommateurs savent qu’en réalité, la plupart des fleurs que nous consommons au quotidien ne sont pas de saison. Par exemple, il est tout à fait possible de consommer des roses toute l’année, alors que la période de floraison de celle-ci intervient au printemps en France.
Pourquoi avons-nous perdu de vue ce sens premier de la fleur qu’est la saison ? Qu’est-ce que cette tendance montre de la nouvelle organisation économique de la fleur et de nos représentations ?
Le mythe d’une fleur domestiquée par l’homme ?
Pour comprendre les profondes transformations de la production de fleurs, il faut tout d’abord rappeler les mutations de sa consommation. On perçoit un engouement pour les fleurs importées d’Orient au XVIe siècle, comme ce fut le cas de la tulipe aux Pays-Bas. La variétés de tulipe ont commencé à faire l’objet de croisements et d’hybridation, amorçant une forme de domestication de la fleur par l’homme.
C’est à partir de cet instant que le jardin devient le point d’ancrage nouveau des fleurs, et celles-ci commencent à être cultivées pour leur valeur esthétique. C’est en tout cas le constat que dresse l’historienne Valérie Chansigaud : “On peut considérer que c’est en Europe à la Renaissance qu’émerge de manière significative la culture des fleurs à vocation ornementale, avec l’apparition de jardins exclusivement dédiés à la culture de fleurs”.
Au XIXe siècle, dans les villes, les ménages aisés se prennent de passion pour les fleurs exotiques importées d’Orient, ce qui a laissé des traces durables dans nos préférences. On peut également noter que le XIXe siècle, la décoration par les fleurs se démocratise dans toutes les sphères de la société, y compris chez les classes ouvrières, comme le souligne le botaniste Philippe de Vilmorin : “un bouquet sur la table, un pot de fleurs à la fenêtre, c’est un rayon de soleil des champs dans la monotonie de sa vie de labeur”, notait-il, arguant que les ouvriers originaires des zones rurales y trouvaient là un salutaire rappel de leur origine.
L’historienne Camille Lorenzi dégage deux caractéristiques majeures, qui semblent encore aujourd’hui déterminer nos préférences florales : “une préférence pour des espèces qui reflètent la capacité humaine de toujours davantage transformer la nature ; et une autre pour celles qui représentent une certaine somme d’argent”. Outre sa dimension de distinction sociale, la fleur devient donc le symbole de l’humanité transformatrice de la nature.
L’extension agricole de la culture des fleurs
Face à la hausse de la demande et à la démocratisation de la consommation de fleurs, on assiste à une intensification progressive de la production. Pour produire des fleurs toute l’année, les variétés saisonnières étant les plus populaires, les producteurs hollandais généralisent la production sous serres chauffées, recréant des conditions climatiques optimales, ouvrant la voie à une désaisonnalisation de la consommation de fleurs. “Au XIXe siècle, on constate une forme de démocratisation de la pratique des fleurs qui se diffusent plus largement dans les sociétés européennes, en grande partie en raison de la semi-industrialisation de la culture des fleurs par le biais des serres chauffées hollandaises” constate Valérie Chansigaud.
On assiste donc à un basculement de paradigme d’une culture de fleur individuelle dans le cocon du jardin à l’extension agricole de la pratique. Dans le but d’une optimisation des procédés de production, les exploitations se concentrent sur quelques variétés. Dans la perspective de trouver la saison idéale et perpétuelle, les obtenteurs européens cherchent des terres exotiques pour étendre la production de fleurs à l’année : c’est le cas des fermes florales kényanes par exemple, qui se sont spécialisées dans la culture des roses dans les années 90 pour satisfaire la demande européenne.
Ces nouveaux modèles répondent à ce que les chercheurs appellent le just in time business : le nouveau calendrier de floraison des fleurs ne doit plus coïncider avec la saison, mais avec celui des festivités européennes, qui deviennent le nouveau tempo de production. La maîtrise totale des paramètres climatiques permet des ajustements pour accélérer la floraison des fleurs, et honorer la demande lors des pics de consommation que sont les fêtes calendaires.
Le chercheur Bernard Calas, professeur en géographie à l’université de Bordeaux, utilise à ce sujet la notion de “tropicalisation” de la production, pour désigner la délocalisation de la production dans des pays d’Afrique ou d’Amérique du sud.
Quelques espèces phares centralisent la demande … au détriment d’autres variétés
Pour aborder la désaisonnalisation de la consommation de fleurs coupées, il est difficile de ne pas évoquer la rose, dont la consommation toute l’année est le témoin du phénomène. Celle-ci centralise en effet la majeure partie des achats de fleurs coupées en Europe. En France, 58 % des fleurs achetées par les français sont des roses, et représentent plus de 42 % des fleurs importées selon les estimations de Val’hor. Pour la Saint-Valentin, cette proportion atteint même les 67 %.
Cet état de fait est entretenu par certains opérateurs de livraison de fleurs, qui mettent volontiers en avant les roses même à contre-saison. C’est notamment le cas de certaines plateformes qui proposent un bouquet de décembre composé de roses.
Les clients se montrent cependant disponibles pour remplacer la rose par des variétés de saison, pourvu qu’on leur en donne l’occasion. Ainsi, sur Sessile, ce sont pas moins de 80 % de bouquets de fleurs de saison qui ont été vendus à la Saint-Valentin 2023 puis 2024, signe que les consommateurs sont prêts à changer leurs habitudes.
Le retour de la fleur de saison ?
Pourtant, la demande en produits de saison est une tendance forte chez les consommateurs, comme le confirme Véronique Brun de la fédération Verdir : “Depuis le Covid, on a senti une volonté de se tourner vers l’achat local. Je pense que cela a été l’occasion d’un nouveau regard sur la production de fleurs en France, qui ont aussi eu un regain d’intérêt pour les fleurs saisonnières. On assiste à la même prise de conscience que pour les fraises en hiver : les consommateurs sont plus attentifs à ce qu’ils achètent en fonction de la saison”.
En effet, pour revenir à des fleurs saisonnières, il faut inciter les consommateurs à se tourner vers des variétés de saison. En hiver par exemple, la renoncule peut tout à fait remplacer la rose, d’autant plus qu’elle est beaucoup produite dans le sud de la France. Elle peut donc sans problème intégrer les bouquets que les amoureux s’offrent à la Saint-Valentin.
“Je n’ai pas envie de vendre une rose qui vient d’Ethiopie à 10 euros pièce, alors qu’on a des renoncules absolument sublimes et des anémones du Var de très bonne qualité” acquiesce Marie Ruillard, fleuriste au Mans chez Maison Marguerite. Même son de cloche chez Bulle d’eau à Gardanne : “J’ai en effet pris la décision de ne proposer à mes clients que des fleurs bien spécifiques. Tout d’abord, je ne leur propose que des fleurs de saison : ainsi, mes clients peuvent redécouvrir des sensations différentes toute l’année. Par ailleurs, je ne m’approvisionne qu’avec des fleurs locales quand c’est possible, et de France le reste du temps”, abonde Lyscendre.
Des signes de renouveau sont palpables. Tout d’abord, les fleurettes comme les anémones ou les pois de senteur s’invitent de nouveau dans les bouquets des consommateurs, de même que l’engouement pour les fleurs champêtres. Comme le confie Gilles Sonnet ; “En hiver, j’essaie au maximum de recommander des variétés de saison produites en France à mes clients, notamment des tulipes, des renoncules ou des anémones, qui rencontrent chaque année un grand succès”. En effet, les anémones comptent parmi les fleurs les plus produites en France selon les estimations de Val’hor, puisqu’elles représentent 9 % de la production.
Afin de donner des pistes de réflexion quant à la reterritorialisation de la production de fleur, et pour lui redonner un sens saisonnier, Excellence Végétale propose une ébauche de recommandations d’espèces saisonnières à cultiver en fonction des département, en tenant compte des paramètres pédoclimatiques de chaque territoire, l’idée étant de reconnecter la production de fleurs à ses paramètres climatiques et saisonniers.
Tous les fleuristes ne sont pas logés à la même enseigne…
Mais pour proposer des fleurs de saison en priorité à leurs clients, les fleuristes ne sont pas tous sur un pied d’égalité. “J’ai la chance de vivre dans une région où la tradition de la culture de la fleur est bien vivante : en effet on trouve encore de nombreux floriculteurs dans le Var, qui sont souvent des exploitations familiales qui se transmettent de génération en génération”, détaille Lyscendre, gérante de Bulle d’eau à Gardanne. Le sud de la France permet en effet aux fleuristes d’avoir de jolies fleurs produites à proximité en toute saison.
En revanche, la production de fleurs coupées en France n’est pas répartie équitablement sur le territoire. “Je pense que le premier est d’abord l’insuffisance de l’offre française, qui nous empêchent d’en vendre davantage en boutique. S’ajoutent à cela des difficultés logistiques : en effet, moi qui suis fleuriste en Vendée, j’ai en réalité très peu accès aux fleurs qui sont produites dans le Var par exemple, parce que les fleurs transitent principalement par les Pays-Bas”, confie Florent Moreau, fleuriste à Saint-Laurent-sur-Sèvre.
En effet, la plupart des fleurs que nous préférons sont des fleurs de printemps, et de nombreuses fêtes calendaires où nous avons l’habitude de nous offrir des fleurs sont en automne ou en hiver : pour proposer des fleurs toute l’année et satisfaire leur clientèle, les fleuristes doivent donc composer avec des fleurs d’import.
Les fleuristes, maillon essentiel du changement
Quoi qu’il en soit, la prévalence des fleurs d’import a tendance à peser sur les fleuristes, alors qu’ils font au contraire tous les efforts possibles pour proposer à leurs clients des fleurs de bonne qualité. Ce qui a tendance à agacer Florent Moreau : “Ce que je trouve dommage, c’est que ce sont souvent les fleuristes qui sont montrés du doigt lorsqu’il s’agit de parler des fleurs d’importation, notamment à l’approche de la Saint-Valentin, alors qu’au contraire nous jouons un rôle pédagogique lorsqu’il s’agit d’expliquer la provenance ou la saisonnalité des fleurs”.
Ce rôle de pédagogue pour guider les clients vers des variétés de saison est indispensable, et peut aussi donner lieu à des échanges fructueux entre clients et fleuristes selon Lyscendre. “La plupart du temps, quand je discute avec mes clients, le fait que je ne propose que de la fleur de saison me donne l’occasion d’expliquer cette particularité, et me permet de leur raconter l’histoire des fleurs d’une autre manière. C’est donc toujours un moment de partage”, sourit la fleuriste.
Qui sommes nous ?
Sessile lutte pour l’indépendance des artisans fleuristes sur Internet. Fondé en 2019 par 6 amis, Sessile rassemble 500 fleuristes, engagés dans la transformation de la filière et permet déjà de livrer plus de 50% des Français. En brisant la logique de catalogue sur Internet, le réseau met en avant le savoir-faire de chaque fleuriste et contribue à faire vivre l’art floral. Les fleuristes peuvent faire vivre leur passion et conçoivent des bouquets plus créatifs car ils sont ainsi plus libres de proposer des fleurs de saison, des fleurs locales quand c’est possible.