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04.03.24

Les roses d’ailleurs : les dessous de la fabrique des roses

Vous achetez sans doute des roses régulièrement, mais savez-vous d’où elles viennent ? Alors que les roses sont les fleurs préférées des consommateurs, leur circuit de production et de distribution reste encore mal connu. Sessile décrypte l’organisation du marché de la rose coupée.

Après avoir étudié des années durant les dynamiques urbaines en Afrique, le géographe Bernard Calas a souhaité apporter une contribution qui ait du sens à sa discipline : fort de sa connaissance des systèmes politiques et économiques africains, il a porté son regard sur un  objet à la fois quotidien et exceptionnel : la rose. Et quel meilleur terrain d’étude que le Kenya, 1er pays producteur de roses dans le monde pour mener à bien ses recherches ? 

Les roses me sont apparues comme une évidence en tant que sujet de recherche en me rendant au Kenya pour la première ; j’avais eu l’occasion de rencontrer des rosiéristes, et cette fleur est devenue le symbole des transformations économiques du pays”, confie le chercheur. De fil en aiguille, il a constitué un groupe de recherches pluridisciplinaires nommé RosesMonde, financé par l’Agence Nationale de la Recherche.

Aux origines de la rose Kényane

La possibilité de cultiver les roses au Kenya a été perçue bien avant l’implantation hollandaise. “On note l’intérêt d’obtenteurs français pour les Hautes Terres tropicales dès les années 50 en raison du climat particulièrement propice à la culture de la rose, caractérisé par un fort ensoleillement et des températures suffisamment chaudes pour produire des roses presque toute l’année”. 

La production de roses dans le monde s’industrialise à mesure que la demande pour ces fleurs se démocratise dans les sociétés occidentales. Partant de là, les producteurs cherchent à minimiser les coûts de production par tous les moyens, notamment en cherchant deux éléments fondamentaux : des conditions climatiques permettant la production de roses toute l’année, et une main-d’œuvre peu coûteuse. “En réalité, les premiers à délocaliser la production de roses sont les Etats-Unis, qui commencent à étendre leur production en Colombie et en Equateur”, résume le chercheur. Ce phénomène, il le nomme la “tropicalisation, à savoir la quête des conditions climatiques optimales.

Pourquoi le Kenya est-il par la suite devenu le berceau de la production de roses mondiale ? Bernard Calas évoque plusieurs facteurs qui expliquent cette spécialisation. “Au début des années 70, le choc pétrolier a poussé les producteurs hollandais à s’adapter en réduisant leurs coûts de production, puisque le modèle des serres chauffées était devenu de plus en plus onéreux”. A cette augmentation des coûts de production s’est ajoutée une hausse du coût de la main-d’œuvre. “Le Kenya offrait aux producteurs hollandais deux externalités positives : un climat politique relativement stable ainsi qu’une main-d’œuvre abondante et bon marché”, poursuit le chercheur. 

Une logistique installée depuis les années 90

Pour comprendre pourquoi la rose s’est imposée comme une fleur incontournable dans nos modes de consommation, il faut remonter au XIXe siècle et à l’apparition de la culture sous serre chauffée, qui a élargi les horizons des producteurs de fleurs. Comme le précise Lucie Drevet-Demettre, la culture de roses supplante progressivement celle de la tulipe

Ce bouleversement des cultures a engendré une transformation des logistiques face aux nouvelles contraintes : en effet, alors que la tulipe se transportait par bulbe, la rose s’exporte elle par tige, ce qui induit une course contre la montre pour éviter que les fleurs ne s’abîment. Partant de là se développe les logistiques par camions réfrigérées, puis le développement du fret aérien ; Madame Drevet-Demettre considère ainsi que la compagnie aérienne néerlandaise KLM a joué un grand rôle dans l’invention du fret aérien commercial. Aujourd’hui, la livraison des roses s’effectue dans un intervalle de 48 heures, démontrant la solidité des flux logistiques entre Nairobi et Aalsmeer.

Madame Drevet-Demettre résume la situation comme suit : “Les Néerlandais sont autant des pionniers dans l’innovation horticole que dans le processus logistique. L’expertise floricole et logistique ont évolué de concert : la floriculture ayant stimulé le hub logistique néerlandais, clé de l’affirmation des Pays-bas sur le commerce des fleurs coupées et inversement”.

La Hollande, jusqu’aux années 70, était l’un des principaux producteurs de roses dans la monde, avant d’ouvrir les enchères d’Aalsmeer aux fleurs issues de l’importation, comme le détaille Lucie Drevet-Demettre, qui évoque l’introduction de roses jaunes produites en Israêl à cette époque, amorçant ce qu’elle nomme “l’externalisation de la rosiculture”. Ce n’est qu’en 1990 que les producteurs hollandais commencent à installer des fermes rosicoles autour du lac Naivasha, s’inspirant ainsi des délocalisations de fermes rosicoles américaines en Colombie à la fin des années 60. 

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Une organisation tournée vers l’export

La principale destination des roses kényanes est bien évidemment l’Europe, par lesquelles elles entrent à travers la bourse d’Aalsmeer. “Il faut garder en tête que la production de roses est entièrement façonnée par la demande européenne ; les Kényans consomment très peu de roses, hormis des roses rouges et blanches, mais ces pratiques sont circonscrites aux élites urbaines de Nairobi”, détaille Bernard Calas. “On retrouve le même phénomène sur une autre denrée produite au Kenya : le café.

La production de roses est donc essentiellement consacrée à l’export vers les marchés européens. “Le cycle de production kenyan est intégralement conçu à partir des fêtes calendaires européennes, comme la Saint-Valentin ou la Fête des Mères”, poursuit le géographe. 

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les variétés produites au Kenya sont des produits façonnés pour être transportés facilement. “Vous pourrez remarquer que bien souvent, les fleurs importées du Kenya n’ont pas d’odeur : c’est parce qu’on a sélectionné les variétés les plus résistantes au transport. Les roses odorifères ont généralement des pétales plus fragiles, et les enfermer dans des boîtes accélère le processus de sénescence, elles ne se prêtent donc pas à l’export international.” En effet, la livraison de fleurs coupées est une véritable course contre la montre étant donné la périssabilité des produits. 

Face à la concurrence subie des roses européennes au printemps, les producteurs de roses cherchent à diversifier leurs activités afin de continuer à produire des roses en flux tendu. “Les rosiculteurs testent de nouvelles variétés de ce qu’ils appellent les summer flowers à produire pendant la saison basse et continuer à faire tourner leurs fermes

Le sort des ouvrières horticoles en question

L’installation de nombreuses fermes florales autour du Lac de Naivasha, principale source en eau douce du pays, a évidemment eu des répercussions profondes sur la sphère sociale locale. “Globalement, on peut dire que le sort des ouvriers des fermes de roses s’est amélioré” note Bernard Calas, “mais la richesse n’est toujours pas équitablement répartie entre tous les acteurs de la chaîne de valeur, où les principaux gagnants restent les enchérisseurs hollandais ”. 

Les conditions de travail difficiles vécues par les ouvriers agricoles, à 70 % des femmes, ont été relayées dans les années 90 en Europe.”On a commencé à diffuser des campagnes sur les ouvrières des fermes florales kényanes, ce qui a attiré l’attention des médias”. A ce propos, le chercheur ajoute : “Les producteurs sont très attentifs de ce qui se dit d’eux en Europe, pour ne pas subir de choc d’opinion. Par exemple, les boycotts aux Etats-Unis envers les roses produites en Israël ont eu un impact notable dans l’esprit des consommateurs”.

Si la production de roses a effectivement amélioré le sort de la plupart des ouvriers de l’industrie rosicole il demeure toujours des revendications qui n’ont pas trouvé de réponse ; à ce titre, près de 300 ouvriers d’une ferme kenyane ont été licenciés pour s’être mis en grève, pour demander une revalorisation de leurs conditions de travail

Par ailleurs, cette course au moins disant social commence aujourd’hui à porter préjudice aux fermes kényanes. “Les producteurs sont en quête perpétuelle de rentabilité, et le coût de la main-d’œuvre a fortement augmenté au Kenya, ce qui a poussé les exploitants à aller s’installer dans des pays comme l’Ethiopie, qui est plus compétitive sur cet aspect”, précise Monsieur Calas. 

L’impressionnant essor de la culture de roses au Kenya s’est accompagné d’une urbanisation que les pouvoirs publics ont eu peine à accompagner, provoquant une distorsion entre l’offre de services publics et la demande grandissante des populations de Naivasha en quête de travail. Ainsi, de 50 000 habitants, la ville a connu un développement aussi soudain qu’exponentiel et compte aujourd’hui 300 000 habitants.

Des conséquences climatiques notables

L’aménagement des rives du lac Naivasha et son usage pour la culture de roses n’a pas été sans conséquence pour l’environnement. Pendant longtemps, la rosiculture a été accusée de provoquer l’assèchement du lac, une analyse que ne partage pas Bernard Calas : “Sur la question du niveau du lac, on s’est rendu compte que ses variations de volume n’étaient pas liées à l’exploitation agricole des eaux, mais plutôt à des critères hydrogéologiques”.

En revanche, la dégradation de la qualité des eaux du lac du fait des activités rosicoles est une réalité” pointe-t-il. Dans l’un de ses articles, le chercheur évoque des pluies torrentielles en 2000 qui auraient provoqué l’écoulement de nombreux produits chimiques dans le lac “provoquant la mort de millions de poissons et d’autres espèces aquatiques”. Cet épisode avait même conduit le gouvernement de l’époque à interdire toute activité de pêche pendant 1 an. “Depuis, les fermes ont été tenues de prendre des mesures, et on constate quelques efforts” note le chercheur.  

Cependant, ces efforts masquent parfois des stratégies de dissimulation. Bernard Calas écrit dans l’un de ses articles qu’une étude épidémiologique visant à étudier l’impact de certains intrants sur la santé des ouvriers horticoles qu’une technique de dissimulation pour les grandes fermes consistait à acheter la production de fermes plus réduites. En effet, celles-ci attirent moins l’attention des médias et des pouvoirs publics et sont donc moins exigeantes, pour “capitaliser tout à la fois les avantages des certifications vertueuses et ceux d’un marché du travail où abonde la main-d’œuvre”.

Enfin, on peut citer les conséquences de l’urbanisation rapide à laquelle a été soumise la région de Naivasha, qui engendre aussi des externalités négatives pour l’environnement, comme la pollution liée aux transports quotidiens des travailleurs. 

L’exemple des roses kényanes est donc tout à fait symptomatique de l’organisation d’un marché mondialisé. Dans une quête de réduction des coûts, les producteurs hollandais ont cherché à délocaliser leur activité, reproduisant de fait une schéma classique de division internationale du travail, où se mêlent distanciation des bassins de production et de consommation, et spécialisation des économies nationales. Le phénomène risque de se déplacer en Ethiopie, dans une course au moins disant social.

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